lundi, novembre 22, 2004

La Démocratie au Moyen-Orient

Éléments d’une problématique

Le dernier conflit régional de la planète a pour théâtre le Moyen-Orient. Depuis 1948, date de la création d’Israël, la guerre et la paix se disputent poussant les différents acteurs de ce volcan jamais éteint à s’armer toujours davantage, reléguant aux calendes grecques tout espoir d’un changement démocratique à l’intérieur de chacun des pays arabes de la région. Au cœur du problème, la question palestinienne et celle qui lui est liée, Jérusalem, la deuxième ville sainte de l’Islam. Le problème se pose-t-il seulement en ces termes? Ne voyons-nous pas de la part des régimes arabes autoritaires et des autocraties, une instrumentalisation du conflit israélo-palestinien pour asseoir leur domination? De fait, ces régimes ont négligé leurs sociétés, ignoré toute revendication en faveur de réformes sociales et politiques. Pourtant, la résistance au changement ne peut s’expliquer par le seul danger extérieur.
La tragédie du 11 septembre 2001, la guerre et l’occupation de l’Irak par les troupes américaines ont davantage fragilisé cette région. Comment dans ce contexte poser la problématique de la démocratie? Comment des régimes autoritaires confrontés à une menace permanente peuvent-ils entreprendre des réformes et s’inscrire dans l’optique du 21e siècle?
Léthargie arabe?
Des auteurs ont parlé de la léthargie du monde arabe, de son incapacité à entreprendre des réformes profondes, de s’engager dans la modernité. L’Islam est parfois désigné comme étant le frein principal. Considérant l’évolution des sociétés au siècle passé, y a-t-il réellement une singularité arabe, une inaptitude à se démocratiser? L’analyse ne peut occulter le soutien européen et américain, intérêt oblige, à leurs alliés, les régimes autoritaires. Depuis nombre d’années, l’absence de démocratie a été excusée par l’occident. Européens et Américains ont laissé faire les régimes arabes, leur préoccupation essentielle étant l’accaparement des richesses pétrolières. C’est pourquoi, l’on comprend assez mal aujourd’hui, l’empressement américain à démocratiser cette partie du monde sous prétexte de lutter contre le terrorisme.
La démocratie exportable?
L’occupation de l’Irak a été en effet pour l’administration Bush, l’occasion de lancer l’idée d’un Grand Moyen Orient (GMO) sensé apporter la démocratie, la liberté et le développement durable pour les peuples de la région d’une part et, la sécurité de l’Amérique et ses alliés d’autre part. Quand on sait que ce sont les intérêts, notamment pétroliers et stratégiques qui dictent la politique extérieure des États-Unis, on peut se demander ce que cache cette vision généreuse au moment où le couteau ne cesse de remuer dans la plaie irakienne? Le changement social ne peut se faire avec la violence exercée de l’extérieur. Le monde arabe, gouvernants et gouvernés, observe et apprécie ce qui se passe dans le laboratoire irakien en prenant bien garde aux arguments américains. On ne libère pas un pays, on ne le démocratise pas non plus en bombardant femmes et enfants. Considérant cette donne irakienne et le conflit israélo-arabe, la question se pose donc de savoir si de l’extérieur, sous la pression, on peut donner corps à la démocratie.
S’adapter ou disparaître?
L’occupation de l’Irak a été ressentie et par les gouvernants et par les populations comme un séisme dans une région en proie à un conflit régional qui n’a que trop duré. La Palestine n’est pas encore libérée et voilà que le monde arabe assiste impuissant à ce qui apparaît comme le début de son démembrement.
Le 23 mai de cette année à Tunis, les dirigeants et chefs d’État arabes réunis enfin en sommet – après un premier report dû à des susceptibilités interarabes —, ont élaboré un programme de réformes politiques et économiques. Il y a à cela deux principales raisons : la pression extérieure venant des États-Unis et la pression interne émanant des mouvements de contestation trop souvent réprimés qui, à la faveur de la mondialisation arrivent parfois à s’exprimer.
Certes, le programme adopté à Tunis ne recèle que des idées générales. Entre autres, il est demandé de promouvoir le rôle des femmes, leurs droits, leur participation au développement, d’approfondir les bases de la démocratie et de la choura (consultation) de respecter les droits de l’homme et d’élargir le champ de la participation politique. Des réformes timides parce que trop générales et d’autant plus qu’il est souligné que ces réformes doivent être appliquées en accord avec les valeurs culturelles et religieuses et selon les conditions et les possibilités propres à chaque pays. Il y a donc un choix qui est laissé aux gouvernants. Cette assertion explique la crainte de certains régimes de s’engager dans un processus démocratique qui les verrait à terme, céder le pouvoir à d’autres forces sociales. Plus important encore, les dirigeants et chefs d’État arabes rappellent que ces réformes ne pourraient être menées à bien sans un règlement juste du conflit israélo-arabe. La Ligue arabe est-elle en mesure de se donner les moyens de sa politique? En l’absence d’un dispositif d’application des résolutions, le doute est permis.
La démocratie, une panacée?
Ce qui précède doit être pris en compte dans toute réflexion sur la démocratie dans des sociétés comme celles du Moyen-Orient où la notion même du temps, sa gestion et son écoulement dans l’imaginaire, échappe parfois à l’Occidental. Il est beaucoup plus simple de reposer le problème en considérant chaque pays à part et en faisant abstraction de l’environnement international. Là, l’on parlera aisément de pouvoir en place et d’opposition fut-elle islamiste.
Retenons néanmoins que la démocratie n’est pas antithétique à une situation de conflit extérieur – ici, le conflit israélo-arabe. Face à la mondialisation, les régimes autoritaires ne peuvent plus légitimer l’immobilisme interne en reportant toujours à plus tard, toute réforme dans le sens de la démocratisation. La contestation, bien que réprimée, est présente que ce soit en Syrie, en Égypte, en Arabie Saoudite ou ailleurs.
L’Islam en tant que vécu personnel, avec ses valeurs universelles liées à la liberté et à la dignité de l’homme, n’est pas en contradiction avec une société pluraliste et démocratique pour peu que l’on sache distinguer le politique du religieux.
Mais ne nous leurrons pas. La démocratie en tant qu’aspiration, n’est pas la panacée aux problèmes de la société. Les efforts de démocratisation entamés dans nombre de pays du tiers-monde, ont été suivis par des mesures de démantèlement des programmes d’éducation et d’assistance, de suppression d’emploi, de privatisation des entreprises et de contrôles des libertés. La libéralisation a renforcé parfois en d’autres lieux, la main-mise sur la société par les pouvoirs autoritaires. La démocratie ne peut être un corollaire dialectique du libéralisme économique. Cette question a été traitée par de nombreux auteurs. Le lecteur pourrait se reporter avec intérêt aux écrits de Noam Chomsky notamment, Le profit avant l’homme (Fayard, Paris, 2003).
La problématique
Comme nous le voyons, il y a véritablement une problématique dans le sens où la démocratie, au-delà de ses aspects théoriques, soulève, dans le contexte du Moyen-Orient, plusieurs problèmes inter-reliés. Le schéma de transition possible vers la démocratie ne peut être une copie conforme à l’évolution historique du concept en Europe ou en Amérique. Cela dit, la démocratie reste une aspiration populaire pour les populations du Moyen-Orient. La concrétiser sur le terrain, en encourageant la société civile à s’organiser et à s’émanciper, relève d’un impératif endogène. Il s’agit d’ouvrir le débat social sur le pourquoi du retard économique, social et culturel. Il s’agit pour les différentes forces sociales en présence dans chaque pays de trouver le compromis social indispensable pour avancer vers la modernité. Des efforts encore timides sont enregistrés du Maroc à la Péninsule arabique. Il y a des indices de changement. Il s’agit d’aller encore plus en avant. Autrement, ce sont les forces extrémistes qui auront le dernier mot. Le débat est plus que jamais nécessaire.
Article publié dans Vents Croisés, Num. 5, automne 2004

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