samedi, août 09, 2008

Mahmoud Darwich : même si les étoiles s'éteignent...

Elle, le soir
Elle est seule, le soir
et moi, comme elle, je suis seul...
Entre moi et ses chandelles
dans le restaurant hivernal,
deux tables vides. [Rien ne trouble notre silence]
Elle ne me voit pas quand je la vois
cueillir une rose à sa poitrine.
Je ne la vois pas quand elle me voit
siroter un baiser de mon vin...
Elle n’émiette pas son morceau de pain,
et moi, je ne renverse pas l’eau
sur la nappe en papier.
[Rien ne ternit notre sérénité]
Elle est seule et je suis seul
devant sa beauté. Je me dis :
Pourquoi cette fragilité ne nous unit-elle pas ?
Pourquoi ne puis-je goûter son vin ?
Elle ne me voit pas quand je la vois
décroiser les jambes...
Et je ne la vois pas quand elle me voit
ôter mon manteau...
Rien ne la dérange en ma compagnie,
rien ne me dérange, nous sommes à présent
unis dans l’oubli...
Notre dîner, chacun seul, fut appétissant,
la voix de la nuit était bleue.
Je n’étais pas seul, elle n’était pas seule.
Ensemble nous écoutions le cristal.
[Rien ne brise notre nuit]

Elle ne dit pas :
L’amour naît vivant
Et finit en idée.
Moi non plus, je ne dis pas :
L’amour a fini en idée.

Mais il en a tout l’air... (1)

Mahmoud Darwich (1941-2008), l’un des plus grands poètes contemporains vient de nous quitter. Son oeuvre rappelle avant tout les souffrances des Palestiniens exilés comme lui après la création d’Israël il y a 60 ans.
Son poème notoire de 1964, Identité, sur le thème d’un questionnaire israélien exigé, est une ode partagée dans tout le monde arabe. Son oeuvre ruisselle de lumière par l’essence charnelle de la Palestine, par sa réminiscence et par l’éloignement. C’est aussi une œuvre humaniste qui questionne l’homme, son présent et son devenir. C'est aussi une interrogation toute personnelle sur la vie, son sens, les rencontres sans lendemain (2) et notre place sur la Terre.
Hanane Achraoui, députée palestienne a déclaré à juste titre que Mahmoud Darwich a débuté comme un poète de la résistanceavant de devenir un poète de la conscience.
Même si les étoiles s'éteignent, leur lumière reste visible pour très longtemps.
Notes:
(1) Extrait de : "Ne t’excuse pas" Mahmoud Darwich, Poèmes traduits de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar Actes Sud, février 2006.
(2) D'où le choix du poème mis en exergue.
Pour aller plus loin:

Aucun commentaire:

Publier un commentaire