dimanche, novembre 20, 2011

Ali Boudoukha : On l'appelait BAB

Je n’ai jamais dit à mon grand-père,
ni à ma mère
 et surtout pas à mon père
 à quel point je les aimais.
 J’aurais dû.
(…)
Ayez pitié de moi.
Denys Arcand, cinéaste québécois
in Préface des Invasions barbares, scénario,  Les éditions du Boréal, Québec, 2003   )

Cette phrase mise en exergue ici, on pourrait se la dire aussi pour un ami ou une amie qui nous sont chers. Oui, pourquoi ne pas dire à un ami ou à une amie qu’on l’aime, qu’on l’apprécie pendant qu’il ou qu’elle est en vie? Question de pudeur? Sans doute. Je n’ai pas osé moi aussi, je dois l’avouer,  à prononcer ces deux simples mots à des êtres qui m’étaient chers et qui avaient quitté prématurément ce monde de la manifestation. Voilà encore une fois, le destin vient de m’enlever un ami.

Ali Boudoukha est parti. Il a quitté son corps malade pour suivre un autre destin.

Sur d’autres étoiles.

Ali était journaliste.

Pendant près de 20 ans, nous avions cheminé ensemble. Nous avions fait notre entrée à la Chaîne III, la radio algérienne francophone, la même année,  fin 1970, une semaine ou deux de différence. Nous avons présenté notre premier journal parlé, celui du 22h. Comme débutants du direct, nous avions le trac. Et cette information sportive illisible qui nous a donné un moins et qui, le lendemain, devant notre directeur Rachid Boumediène, sévère, mais bienveillant… Bref! Nous avions malgré tout réussi notre passage à l’antenne. Les journaux vont se succéder et l’assurance se renforcer. Ce n’est pas simple de parler à des millions d’auditeurs au pays et sans doute à d'autres qui nous écoutaient sur la Rive-Nord de la Méditerranée. C’est vrai qu’à l’époque, il n’y avait pas la parabole pour capter les chaînes de télévision étrangères. La radio était reine.  Et nous étions, reconnaissons-le, comme des êtres omniprésents qui entraient dans les foyers intimes pour les informer de la situation du pays et de la planète.

Nous étions alors de jeunes journalistes

À quoi pensait-il, sur son lit, à l’hôpital, quand les rêves s’amenuisaient.  Lorsqu’il n’y avait aucun mot à dire parce que la maladie rongeait le corps qui nous est prêté? Sans doute d’abord à ses enfants, à sa femme et puis, à cette Algérie, ce grand et immense pays  mythique qui nous a vus naître et que nous espérions voir ressurgir d’entre les nations mourantes. L’histoire immédiate nous donnera sous peu la réponse. Inquiétante ou joyeuse? Cela ne nous appartient plus. Le monde est entré dans l’ère du changement et nul, pays, famille ou individu, n’est désormais une île. Un nouveau monde est en train d’émerger dans le silence ou le fracas d’une guerre mondiale non dite. Cela ne nous appartient plus et relève du Destin de l’humanité. 

On l'appelait BAB. Et c’est ainsi qu’il signait ses articles dans les journaux.

Pour Latifa Madani, Ali demeure « un monument de la chaîne III, du journalisme, du syndicalisme, de la fraternité et la solidarité; il fut notre mentor! Gentillesse bien sûr, clairvoyance, engagement, ténacité, intégrité, humour, finesse: difficile de trouver des défauts chez Ali BAB. Quelle tristesse! Et que de souvenirs en partage! Celui du temps des luttes et de l'amitié. »

Thouraya Ayed, elle, se questionne : «encore une des voix de la radio et de la chaîne III qui s’éteint.Sans vouloir faire dans le décompte macabre, je trouve que le bilan est très lourd. Ali Boudoukha était un homme affable, au sourire permanent. Cela fait quelque temps que je ne l'ai pas vu. Je garde donc pour l’éternité cette image de lui. J'espère que là où il est, il ne souffrira plus. Que Dieu vous garde tous de la maladie, car elle est pire que la mort. Je n'ai pas besoin de vous voir ni d’être en contact permanent avec vous. Cela me suffit de vous savoir heureux et en bonne santé."

Pour Zine Ben Badis, “ce décès (...) nous instruit de l’inanité des ambitions démesurées des hommes notamment dans notre pays .Des personnes comme Ali, que Dieu ait son âme, sont parties prématurément, mais auront marqué leur passage sur terre par une probité intellectuelle rare. Ali s'ouvrait ces jours-ci à un de nos amis communs en lui confiant "tu sais, on doit partir un jour , moi ce qui me réconforte, c'est que je pars propre ". C'est bien cela Ali. Que Dieu ait son âme!”

Kader Brahimi ne veut pas revenir sur “sur ce parcours et cette vie exemplaires et irréprochables de journaliste, syndicaliste, résistant, militant pour la paix, le droit et la démocratie. Il est à mes yeux quelque chose de plus essentiel : il était un ami comme on les aime, un collègue auquel on tient, une compagnie extraordinairement agréable. Et cette façon qu'il avait d'être pour quelques-uns d'entre nous, cette petite lumière dans les ténèbres ou au milieu de l'ouragan. Il revenait souvent à Paris. Il aurait pu n'être qu'un souvenir, un ex-collègue avec qui on prend rapidement un café par politesse... Et m... ! Même dans un autre contexte, dans une autre ville, Ali était toujours Ali : un ami comme on aimerait en revoir plus et plus souvent à Paris, un ex-collègue qu'on retient jusqu'au bout de la nuit, une présence délicieusement agréable. On s'est payé des ballades inouïes, des restaurants, des verres, des promenades, des parcs, des monuments, des heures et des heures de discussion dans cette ville qu'il aimait de plus en plus et dont je sentais bien qu'elle lui permettait de souffler un peu. Bien avant sa maladie, le pays l'avait épuisé, miné. Ici, il soufflait, il se permettait d'aimer enfin la vie, de la trouver belle et d'en profiter. (…). Et puis il avait cette façon unique d'évoquer les autres, de s'en soucier ou de s'en sentir fier, sa famille, ses amis, ses collègues. Je ne sais pas ce qu'il a eu comme temps ou l'occasion de dire à son fils et à sa fille, à son jeune frère et à ses sœurs, mais, à moi, ici, il m'a dit maintes fois combien il les aimait et combien il se souciait de leur avenir et de leur bien-être. Je ne sais pas ce qu'il a eu le temps ou l'occasion de dire à ses amis, ses collègues ou à ses vieux compagnons, mais, devant moi, ici, il évoquait souvent, sans la pudeur qu'on lui connaît, l'immense affection qu'il avait pour son vieux compagnon Nourredine Inoughi, l'immense amitié qu'il avait pour Toufik bien sûr, mais aussi pour Cherif Ben Ali, Soleïman, Kamel Benyahia, Zine, Jimmy, Khaled, Mouloud, Saïd, Luc, Nacera, Djahida, Ihsene et j'en oublie de ceux qui ont marqué sa vie et son histoire tout comme il a marqué les nôtres.
 Voilà, Ali. Il ne me reste plus aucune larme ce soir, mais encore un peu de foi. J'ai envie de croire que la vie ne meurt pas, qu'elle est éternelle et qu'elle se renouvelle sans cesse. J'ai envie de croire qu'un jour ou l'autre, tu reviendras.”

Ali  était marié et père; je souhaite à ses enfants beaucoup de courage et qu’ils prennent exemple de leur père.

1 commentaire:

  1. Anonyme7:22 a.m.

    merci pour ce mémorable hommage.

    son jeune frère.

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