Samira Aït Ouhamou et Geneviève Buono |
Deux écrivaines, l’une fille de Kouba, originaire de Aïn El-Hammam, et l’autre française, née en Algérie, écrivent un roman qui concentre tout ce que ce pays renferme de beauté, de profondeur, mais aussi de travers liés aux traditions. Geneviève écrit à propos de cet « hymne à toutes les mères et à leurs enfants » : « Derrière Yasmina (la mère de Samira) se dessine le portrait de ma mère, et peut-être celui de toutes les femmes. »
C’est en hommage aux mères courage que les auteures élèvent Yasmina au rang de « la reine Minouche » qui sait d’ailleurs, dans de rares moments volés à la monotonie de son existence, se faire élégante et chic au point de ressembler à Elisabeth II.
En préface, l’écrivain et éditeur Nils Andersson, médaillé pour son soutien à la révolution algérienne, écrit : « Yasmina est née dans une famille de notables, mais, carcan des traditions, il lui est choisi un parti : victime des turpitudes, bassesses et goujateries de Mohand, son sort est, dans la famille à laquelle maintenant elle appartient, de connaître la solitude morale, le désespoir, qu’elle s’efforce de cacher à ses enfants qu’elle aime et qui l’aiment, la dépression, qui la fait considérer comme folle, avant qu’elle ne trouve la force de devenir une femme complète, jusqu’à oser le geste incoercible de révolte, être la reine Minouche. »
Mariée à seize ans à un mari dominateur et absent, elle s’occupait merveilleusement de ses enfants qui sentaient « les portes du paradis » s’ouvrir avec elle. Suprême blessure pour cette femme dévouée à son foyer quand une voisine ironisait devant le mari : « Monsieur Mohand, permettez-moi de vous féliciter. Je ne sais où vous avez déniché votre bonne, mais nulle part on ne trouverait meilleure esclave. J’espère qu’elle est bien payée, au moins. » Par prestige et bêtise, Mohand distribuait de l’argent aux autres alors que sa famille manquait de choses essentielles (…). Plus tard, tout le monde découvrira son endettement auquel son fils Hakim devra remédier. Irresponsable jusqu’à l’inconscience, Mohand ira vivre de longues années au Maroc où il épousera une Française qui lui donnera des enfants qui rejoindront plus tard leurs demi-frères et sœurs d’Alger. De divorces en aventures, il érigera le mensonge, la mauvaise foi et la calomnie en mode d’existence. Yasmina connaîtra « le déshonneur de la femme bafouée, simple guenille aux yeux d’un mari qui n’avait même pas pris de ses nouvelles » quand, déprimée, elle fit un séjour à l’hôpital. Mais, qu’attendre d’un « homme » qui n’a pas daigné aller voir sa mère qui le réclamait sur son lit de mort ?
Le roman s’évade parfois de l’imbroglio familial pour évoquer des héros de la Révolution, la bataille d’Alger, les tortures et les disparitions. Des parents tombés au champ d’honneur sauvent celui d’une famille dont Mohand renvoie une image odieuse. Les auteures rappellent aussi les affres de « la triste décennie » : « Fuyant la haine absurde qui s’abattait sur les artistes et les intellectuels, je me fixai à Argenteuil. »
Le roman s’achève sur une situation violente dans laquelle Yasmina se révolte contre son mari. Quelle sera la suite de ces cahiers dont Samira dit « je les ai écrits sur le dos de ma mère dont j’ai longtemps partagé le lit » ? Le pardon et l’amour sont-ils possibles envers des parents indignes ? Réponses dans ce récit bouleversant.
Ali Bedrici
La reine Minouche, de Geneviève Buono et Samira Aït Ouhamou, éditions Tangerine Nights, Paris, 138 pages, 2018.
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