Marcel Bois |
Le père Marcel Bois* vient de nous quitter pour aller vers la dernière Patrie. Voici un article paru dans Pax & Concordia et son portrait** fait par son diocèse d'origine.
C’est en ces termes que me présentait dernièrement une émission culturelle sur la chaîne El Djazayria. Qu’y a-t-il de commun entre les deux professions ? Peut-être la notion de service : le prêtre, serviteur de Dieu et des hommes ; le traducteur, au service de la rencontre entre deux langues, deux cultures, deux groupes humains.
Je suis originaire d’un petit village montagnard en Savoie, né en 1925. A la fin de mes études secondaires, peut-être à la faveur de certaines lectures, j’ai tourné un regard vers la carrière militaire. Heureusement cette tentation a été vite dissipée grâce aux conseils de mon prof de philo qui m’a fait envisager des pistes plus ouvertes, plus pacifiques. Finalement je me suis orienté vers les études théologiques, en France d’abord, puis en Tunisie, où j’ai été ordonné prêtre en 1950 à Carthage, avec quelques dizaines de confrères, parmi lesquels Alain Dieulangard et Jean Chevillard.
On m’a alors envoyé à l’université de Strasbourg pour y préparer une licence de lettres. J’ai eu là-bas l’occasion d’un premier contact avec les Algériens dans une équipe de cours du soir pour les travailleurs émigrés. Dans les années suivantes, en région parisienne, j’ai enseigné le français aux élèves de seconde et première d’un petit séminaire. A cette époque, la lecture des premiers ouvrages de Mohamed Dib et de Mouloud Feraoun entretenaient en moi une certaine nostalgie de l’Algérie. Mais, malgré tous mes rêves, je me voyais confiné dans l’Hexagone. Finalement, j’ai obtenu d’être nommé en Algérie, en 1958. Mes responsables m’ont envoyé faire deux ans d’arabe à Tunis (dans un Institut, le PISAI, actuellement à Rome), puis une année au Liban où je dispensais dix heures par semaine d’enseignement du français et suivais les cours d’arabe avec mes élèves.
A mon arrivée à Alger, en juillet 1961, j’ai été chargé, pendant une quinzaine d’années, de la Revue de Presse Maghreb-Proche Orient. Ce travail m’a ouvert un regard fraternel sur l’histoire du pays et ses activités culturelles. J’ai eu l’occasion de traduire quelques articles parus dans les journaux et les revues. La maison où j’étais, au coin de la Casbah, rue Ben Cheneb, possédait une bibliothèque au service des lycéens, qui sera animée, de 1988 à 1994, par le frère Henri Vergès et la sœur Paul Hélène.
En 1962, à cause de l’OAS, toutes les écoles avaient fermé en janvier. Pas de bac en juin, mais une session était prévue en octobre. Le proviseur d’un lycée voisin m’a embauché durant l’été pour préparer cette session. Et au cours des années suivantes j’ai été appelé dans plusieurs lycées pour remplacer des professeurs en congé de maladie ou de maternité. Dans les années 60 et 70, j’ai été appelé à lire activement les premiers écrits de Tahar Djaout, Abderrahmane Lounès, Yamina Mechakra, qui fréquentaient la bibliothèque.
En 1969, le proviseur du lycée El Mokrani, à Ben Aknoun, m’a offert un plein temps qui durera jusqu’à la retraite, en 1986. Et c’est ce qui m’a conduit à la traduction littéraire. Un de mes collègues, Abdallah Mazouni, professeur agrégé d’arabe, et lui-même traducteur, m’a fait rencontrer Abdelhamid Benhedouga et m’a encouragé, en 1973, à traduire Rih El Djanoub, Le Vent du Sud. Du même auteur j’ai traduit ensuite quatre romans : La Fin d’Hier (1977), La mise à nu (1981, Djazya et les derviches (1992), Je rêve d’un monde…(1997), et un recueil de nouvelles écrites entre 1987 et 1996 : Blessure de la mémoire. Le Vent du Sud a été traduit en une dizaine de langues, dont le chinois. Ma rencontre avec Benhedouga a abouti à une reconnaissance fraternelle et à une profonde amitié. Il m’a été donné de faire écho à l’œuvre d’un artisan de la renaissance culturelle en Algérie. Les thèmes qu’il aborde « avec lucidité et générosité », selon M.Dib, il les définit lui-même : « La femme, la terre, tradition et modernité, authenticité et ouverture, conflit des générations, rapports entre la ville et la campagne, émigration, guerre de libération, problèmes de la langue et de l’éducation, …on pourrait les regrouper sous l’une des expressions suivantes : paternalisme social et politique, ou bien problème de la liberté. » C’est dire l’actualité de ces thèmes, et la qualité de l’homme, profondément enraciné et extraordinairement ouvert.
A. Mazouni m’a également fait rencontrer Tahar Ouettar, dont j’ai traduit deux romans, El Zilzal (le séisme) (1977), Noces de mulet (1984) et un recueil de nouvelles, Les martyrs reviennent cette semaine (1981)
Dans la suite, j’ai traduit deux romans de Brahim Sadi : Fatwas (2003), et L’homme de la nuit (2014).
Depuis 2006, je fais route avec Waciny Laredj : Le livre de l’Emir (2006) ( où l’on retrouve un échange fructueux entre Abdelkader et le premier évêque d’Alger) ; Les ailes de la reine (2009) ; Les fantômes de Jérusalem(2012) ; L’orient des chimères (à paraitre) ; La maison andalouse (à paraitre). Je viens d’entamer la traduction de son dernier roman : 2084. Au chevet du dernier Arabe.
La prise en charge de deux modestes paroisses, Bir Mourad Raïs en 1982, puis Kouba en 1985, me laisse le loisir de lire et, à l’occasion, de rencontrer les écrivains.
Je parlerais volontiers du bonheur de traduire. Les hommes qui s’expriment dans une autre langue que la nôtre représentent une part d’humain que nous ne posséderons jamais. Et c’est enrichir notre vision du monde que de faire partager ces richesses par la traduction.
La traduction prend une importance particulière en Algérie. Déjà, en 1969, A. Mazouni, dans son ouvrage Culture et enseignement en Algérie et au Maghreb, lançait un appel à ceux qui ont la chance de connaître plusieurs langues : « Par leur fonction de traducteurs et d’interprètes, ils assureront enfin les indispensables communications intellectuelles entre hommes voués à s’entendre parce qu’ils sont, avant tout, les fils d’une même terre, à défaut, hélas, d’être les fils de la même culture. »
Aujourd’hui, le nombre des écrivains algériens augmente, en arabe, en tamazight et en français. Il y a du travail en perspective pour une nouvelle génération de traducteurs !
Marie France Grangaud
Pour aller plus loin :
* Marcel Bois « Prêtre et traducteur ».
** Marcel Bois, portrait fait par son diocèse d'origine, en seconde partie de l'article Marcel Bois, prêtre et traducteur.
*** Marcel Bois, un humaniste de culture et de savoir qui s’en va, Lounis Aït Aoudia, Président de l’association des Amis de la rampe Louni Arezki- Casbah, El-Watan du 3 juillet 2018.
**** Marcel Bois a été enterré le jeudi 7 juin au cimetière chrétien de Belfort, dans la banlieue Est d'Alger.
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