jeudi, mai 27, 2010

Tahar Djaout - le témoignage de Aziz Farès


Voici un article publié dans El-Watan, à l'époque, en 1993, quand Tahar Djaout a quitté son coprs, suite à son assassinat :

BROUILLON DE CULTURE
Par Aziz FARES

« Le silence, c'est la mort,
et toi, si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs.
Alors dis et meurs »


Tahar Djaout


L’histoire récente de l’Algérie est marquée par une suite de secousses violentes dont une des conséquences graves a été la destruction systématique de toute référence au passé.

La mémoire a longtemps été considérée, par tous les pouvoirs en place, comme ces ardoises magiques qu’on efface à volonté et sur lesquelles on réécrit ce que l’on veut.

Où est passé l’héritage culturel dans lequel tous peuvent se reconnaître ? quelle considération apporte-t-on aux savants, écrivains, cinéastes, musiciens et autres artistes ? que sont devenus les noms prestigieux de ce patrimoine culturel dont on a arraché, raturé, effacé des pages entières et que quelques initiés conservent précieusement au fond de leur mémoire.

La culture, au risque de retomber dans les poncifs, est étroitement liée à toutes les cultures, à celles de toutes les nations par des échanges devenus obligatoires, nécessaires et sans lesquels l’Humanité ne serait probablement pas ce qu’elle est..

Cette culture qu’on pourrait par commodité de langage qualifié d’universelle, l’Algérie doit y participer avec son identité, ses valeurs, ses langues, ses caractères, ses hommes et ses femmes, sa jeunesse et toute l’énergie créatrice d’une société trop longtemps réduite au silence.

Que s’est-il donc passé pour en arriver là après tant d’années perdues? Pourquoi ces clivages, auto-destructeurs qui relèvent d’un sado-masochisme dont certains semblent avoir joui avec un plaisir évident.

Bien souvent, on n’a pas su (ou pas voulu) quoi faire de la culture. Elle était, parent pauvre, rattachée à l’information, au tourisme, à la communication et a même disparue des préoccupations de l’Etat à un moment donné.

Que n’a t on vu des fresques inaugurées en fanfare aux 4 coins du pays. Que n’a-t-on vu de grandes idées (festivals, colloques, séminaires, rencontres, salons…) mortes nées.

Les théâtres sont malades, les expositions pratiquement inexistantes, les concerts sont souvent reportés, les cinémas sont désertés (reconvertis en pizzerias ou vidéothèques)….

Les artistes disposent de peu de moyens pour diffuser leurs œuvres et il est rare de voir les garants de la culture présents à des expos, des concerts, dans les librairies et encore moins achetant des œuvres qui sont souvent de grande qualité.

Les livres sont rares et chers et les éditeurs croulent sous le poids des contraintes bureaucratiques.

Après les paraboles et les magasins du trabendo qui font recette, c’est au tour de l’artisanat d’être immolé sur l’autel d’une culture moribonde et qui se résume à un folklore dont on a un peu honte et qui est conçu davantage comme une attraction touristique que comme un mode d’expression authentique destiné à transmettre des traditions. Il nous faut aussi signaler que souvent des boutiques d’artisanat vendent des produits importés des pays frontaliers..

Cette déculturation dramatique a encouragé toutes les OPA sur un pays particulièrement fragilisé. La dimension culturelle est pourtant devenue stratégique dans le développement d’une nation bien avant, osons le dire, l’économie et la politique.

La culture, élément clé sans quoi rien ne sera possible. Capital génétique ou culturel, deux concepts liés, indissociables.

Naturellement on nous rétorquera que l’Algérie a toujours pensé aux artistes.
C’est vrai !
Ceux-ci étaient pris en charge comme des enfants.

Et c’est bien là le problème. L’artiste n’a pas vraiment besoin de moyens ni de lois d’avant garde d’ailleurs jamais appliquées.

Il n’a que faire de Conseils ni de Comités qui se réunissent pour décider de la route à suivre. A moins que des aides réelles soient consenties à travers des crédits d’impôts, exonérations, subventions diverses, l’Etat remplissant alors véritablement son rôle de mécène.

L’artiste est un créatif qui veut parler, écrire, peindre, rire et faire rire, tourner des films, jouer au théâtre, chanter, vivre.

L’artiste, par définition, n’a que faire de structures bureaucratiques et administratives qui sont là, le plus souvent, pour lui dire ce qu’il ne doit pas faire !

L’artiste fait ce qu’il veut.

Il appartient aux différents relais, aux médias de faire un travail de synthèse, d’expliquer et de contribuer à faire comprendre ce que l’artiste a voulu exprimer. Sans le juger, et encore moins le censurer.

Car, l’artiste exprime le tréfonds de l’âme d’un peuple.

L’empêcher de s’exprimer, c’est étouffer, éteindre et défaire les liens qui nous unissent.

Aziz FARES

Autre témoignage :
Assassinat de Tahar Djaout : un crime sans coupables, par Arezki Aït-Larbi,  Le Matin, 26 mai 2001.

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