Il
est des moments où il ne faut plus se taire. L’Algérie vit une étape dangereuse
de son histoire immédiate. Des voix inspirées par la sagesse et qui n’ont plus
rien à perdre vu leur âge, ont décidé de parler, de désigner le mal qui ronge
le pays et qui risque d’un moment à l’autre, de l’emporter. Ce grand pays aux
richesses incommensurables qui ne profitent plus au peuple c’est-à-dire la
grande, l’immense majorité est dans la tourmente. Au-delà des luttes d’influences
au sommet, il y a une échéance électorale, celle du 17 avril. Le président
Bouteflika est malade, très malade. Il ne peut plus s’exprimer. Il ne peut plus
diriger un pays comme l’Algérie. Soutenir le contraire, relève de la déraison
et de calculs qui en aucun cas ne vont profiter aux citoyens et au pays. Il est
heureux que des personnalités comme Ali Yahia Abdenour, Ahmed Taleb Ibrahimi etRachid Benyelles qui connaissent de l’intérieur le système politique algérien, disent
non « à une quatrième candidature de M. Bouteflika ». Il est
heureux que d’autres voix s’élèvent dans le même sens. En fait, les « décideurs algériens
» - appelés ainsi à cause de l’opacité qui entoure le système politique
algérien - ne semblent jamais avoir compris les messages diffusés par le passé
par M. Hocine Aït-Ahmed qui à maintes reprises a développé la notion de « transition »
vers un État démocratique. Est-il déja trop tard ? Ainsi que le souligne, un colonel à la retraite,
Mohammed Djaafar, les catastrophes -quand elles ne sont pas naturelles - sont
rarement le fruit du hasard. C’est la raison pour laquelle je publie sur ce blogue,
l’intégralité de ce cri du cœur.
Les catastrophes sont rarement le fruit du hasard
La
scène politique algérienne s’est emballée dangereusement ces derniers jours.
Une confrontation décisive semble avoir été engagée à l’issue de laquelle il y
aura probablement peu de rescapés.
Les
Algériens, eux, savent qu’il n’y a pas de vainqueur dans ce genre de joute. Un
seul perdant, toujours le même, le peuple. Ils assistent médusés et impuissants
à la fois à la passe d’armes, la dernière peut-être, en implorant le Ciel
qu’elle ne débouche pas sur un cataclysme qui mettra cette fois-ci le pays définitivement
à terre, à la merci de ceux qui, dans certaines capitales, pensent que
l’Algérie est un trop grand pays. Trop grand et trop riche pour nous, s’entend.
La crise aidant, les appétits s’aiguisent et chacun affûte secrètement ses
dagues pour prendre part au festin qui se prépare.
En
Algérie, dans les hautes sphères, barricadés dans leurs espaces feutrés loin du
tumulte de la rue, les dirigeants n’entendent pas le tonnerre qui gronde. Ils
continuent à gérer au jour le jour un pays en crise permanente depuis des
décennies, subissant les évènements au lieu de les prévoir. A chaque jour
suffit sa peine, semblent-ils nous dire. Leurs discours regorgent d’espérances
vite balayées par la réalité concrète et de promesses généreuses, mais creuses,
car rapidement oubliées. Ils semblent avoir bien assimilé la boutade d’un
président français auquel on a fait dire que les promesses n’engageaient que
ceux qui les avaient entendues. Dans la foulée, ils ont aussi oublié les
avertissements de Bennabi au sujet des idées mortes qui deviennent mortelles
pour eux et pour toute la communauté.
Cinquante
ans après l’indépendance, les Algériens prennent conscience chaque jour un peu
plus de l’incapacité du système en place à gérer le simple quotidien des
habitants. Des pans entiers de ce qui fait la vie de tous les jours sont
régulièrement remis entre les mains de coopérants étrangers appelés à la
rescousse à grand renfort de devises pour nous distribuer l’eau, pour faire
fonctionner nos aéroports, pour faire rouler notre unique ligne de métro, pour
gérer nos hôpitaux…
Des
parcelles de souveraineté sont ainsi cédées subrepticement tandis que les
tenants du système se livrent à leur sport favori, celui de se mettre
mutuellement des bâtons dans les roues. Une aubaine pour les esprits
rétrogrades ennemis jurés de l’intelligence qui poursuivent froidement leur
entreprise d’aliénation des citoyens auxquels ils proposent un aller sans
retour vers ces contrées moyenâgeuses où l’homme s’interroge encore sur
l’utilité de la femme après avoir assouvi ses instincts.
Ailleurs,
dans les bureaux d’état-major, dans l’ambiance tamisée des officines, à l’écart
de la cohue, une logique implacable se met en place. De nouvelles cartes de ce
que sera notre région dans un avenir qui est déjà à nos portes y sont
inlassablement déroulées, patiemment redessinées. Les félins attendent toujours
le moment propice pour s’élancer, nous dit-on.
Face
à cette perspective qui se rapproche dangereusement, les Algériens conscients
se sentent abandonnés. Ils voient le navire chavirer, mais la passerelle de
navigation reste désespérément vide et inaccessible. Qu’ont fait les dirigeants
du pays pour en arriver là ? Ont-ils encore les moyens d’éviter les écueils et
de reprendre la barre dans une mer tourmentée ?
Force
est d’admettre que les conditions objectives de notre vassalité qui achèvent de
se mettre en place sous nos yeux ne datent pas d’aujourd’hui. Elles se sont
lentement superposées durant un demi-siècle de gestion approximative.
Ceux
qui en 1962 ont cru pouvoir construire un Etat sans l’assentiment du peuple,
sur la force comme unique source de légitimité, en portent l’entière
responsabilité. Ils peuvent aujourd’hui mesurer à loisir l’ampleur de la
catastrophe. Ils ont banni ceux qui avaient l’Algérie au cœur, réduit au
silence les voix sincères et désintéressées, séquestré l’Histoire et le
souvenir, exclu les citoyens de la gestion de leur propre devenir pour se
retrouver dans l’arène des flagorneurs, des traîtres, des incompétents et des
corrompus comme le leur avait prédit un certain Ferhat Abbas.
Le
résultat est consternant : une Algérie exsangue, menacée dans son existence
même ; un peuple épuisé ; une jeunesse qui n’attend qu’un visa, n’importe
lequel, pour fuir le pays de la frustration ; la mauvaise foi et la roublardise
comme mode de gestion favori ; la corruption, l’incompétence et l’arbitraire ;
les faux moudjahidine ; l’obscurantisme et l’intolérance ; la violence et la
criminalité ; l’impunité et l’injustice ; l’ignorance et la mauvaise éducation
; la saleté, ah, la saleté ! Sous toutes les formes possibles et imaginables.
Quel
sens donner alors au sacrifice de millions de martyrs depuis les épopées
glorieuses du 19e siècle à la guerre de Libération nationale et aux
affrontements fratricides de l’indépendance en passant par les chouhadas
anonymes de Mai 45 ? Tant de sang versé, de souffrances et de larmes, tant
d’humiliations, de privations, de vexations et de sueurs, pour en arriver là ?
Ceux
que le peuple nomme les décideurs parce qu’ils ont toujours décidé pour lui ne
donnent guère l’impression d’être concernés. Ils exultent dans les querelles
byzantines et se livrent aujourd’hui à ce qui semble bien être la dernière
bataille avant l’implosion du pays et son éclatement en principautés autonomes…
Sous les applaudissements nourris et les rires sous cape des grandes capitales
et de certaines autres encore, frères celles-là, qui se frottent déjà les
mains.
Réveillez-vous,
de grâce !
Après
cinquante longues années de marche forcée vers l’inconnu, il est encore temps
d’éviter le suicide collectif, de stopper les machines, d’opérer un demi-tour
stratégique et courageux pour retourner à la case départ. Ce n’est pas une reculade,
car tous les Algériens ou presque admettent que le problème numéro 1 du pays
est gravé dans le mauvais départ de 1962. Je dis tous les Algériens ou presque,
car il y a ceux qui se complaisent dans le stupre et la médiocrité, qui ont
amassé des fortunes en se grattant vulgairement le ventre et qui pensent
aujourd’hui être en mesure d’éduquer leurs compatriotes. Ceux-là sont connus,
ils s’évaporeront dès les premières salves et iront grossir les rangs des
beggarines hideux dans le rebut de l’humanité.
Les
acteurs de 1962, ceux qu’on appelle les décideurs, sont toujours aux commandes.
Heureusement pourrions-nous dire, car eux savent mieux que quiconque combien
est grande la catastrophe, combien profonde est la fracture. Ils décident seuls
depuis 62, il ne leur reste désormais qu’une ultime décision à prendre avant la
grande secousse. Plaise à Dieu qu’ils ne ratent pas cette occasion historique,
qu’ils prennent, hic et nunc, la seule décision salvatrice et le peuple les
suivra les yeux fermés, car eux seuls savent combien il est urgent de faire
machine arrière. En reconnaissant le mauvais départ de 1962, en apportant les
réparations salutaires que réclament tous les Algériens, ils entreront dans
l’Histoire par la grande porte. Personne ne les montrera du doigt, car le monde
entier sera occupé à les applaudir.
Vite,
le temps presse. Trêve de replâtrage et de querelles de clocher, allons-y tout
de go. Tournons le dos à l’autosatisfaction stupide et faisons face
courageusement au monde qui nous regarde. Personne n’accusera personne de
révisionnisme. Du moment que le peuple n’est plus marginalisé, que le droit et
la justice reprennent la place d’honneur qui est la leur, que les femmes se
libèrent des chaînes intégristes, que les Algériens ne soient plus obligés de
s’exiler pour exister, que les faibles soient protégés, que les menteurs (ou
les dribbleurs si vous aimez le football) soient démasqués, que les arbres ne
soient plus arrachés sans notre approbation, que les criminels soient punis,
que, que, que…
N’est-ce
pas là objecterait le lecteur de bonne foi, quelque chose qui sonne comme les
promesses d’un certain 1er Novembre 1954?... Personnellement, je n’étais pas au
maquis avec nos martyrs, mais il me semble bien qu’ils se soient sacrifiés pour
des choses comme ça.
Alors,
un dernier effort, tout ensemble. Rembobinons la cassette et revenons au moment
où le temps s’était figé, au péché originel en quelque sorte en effaçant
carrément la scène grotesque du cinéma Majestic. On le transformera en musée de
la bêtise humaine et on demandera à madame Tussauds d’immortaliser l’instant
avec ses poupées de cire. Elle veillera à leur ajouter une touche d’épouvante,
pour les générations futures. On s’arrêtera juste au moment où Ferhat Abbas
n’avait pas encore eu l’intention de démissionner de la présidence de
l’Assemblée constituante. On fera comme s’il n’avait jamais démissionné. Comme
il n’est plus là, on trouvera bien quelqu’un de sa trempe encore vivant pour
reprendre son rôle là où l’inconscience l’avait interrompu. On le priera
d’actionner le démarreur, on lui tiendra la main s’il le faut pour enclencher
la vitesse. Avec lui, nous appuierons sur le champignon et voterons l’acte de
naissance de la 1re vraie république, article par article comme nos braves
frères tunisiens.
Ce
jour-là, les horloges repartiront toutes seules comme par miracle, nos
hittistes se redresseront et tout recommencera à fonctionner normalement parce
que nos martyrs cesseront de se retourner dans leurs tombes et se laisseront
enfin bercer par les douceurs éternelles. Abane Ramdane nous observera encore quelque
temps pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une ultime manœuvre ourdie par
quelque décideur aveuglé par la lumière brûlante de la vérité. Puis, rassuré,
il nous pardonnera nos lâchetés et retrouvera enfin sa sérénité et le repos
tant mérité qu’il s’est refusés depuis 1958 par solidarité avec le peuple pour
lequel il a choisi de se sacrifier. Il déploiera sur nous ses ailes de géant et
subitement, l’arbre que l’on croyait condamné reprend vie et recommence à
dispenser feuilles et fruits. Sous son ombre, aucune malédiction ne pourra plus
atteindre nos enfants.
M.
D.
C'est touchant! Cela dit, politiquement parlant, le cri de votre ami ne va pas loin. On peut résumer son point de vue ainsi : Le clan Boutef est en conflit avec le clan Toufik et ce conflit est dangereux, car il peut déstabiliser l'Algérie. Si le pays sombre dans un quelconque désordre, les puissances occidentales interviendraient pour le diviser et le spolier de ses richesses. Solution : j'appelle les dirigeants et les citoyens à prendre conscience de ce danger. Bon... Je ne crois pas que le conflit Toufik/Boutef soit si dangereux pour le pays. Je ne crois pas que nos dirigeants soient capables d'entendre un appel de ce type. Et, finalement, devons-nous accepter une classe politico-militaire incompétente et corrompue rien que pour "sauver" le pays d'une répartition? Doit-on avoir peur de tout désordre, de tout mouvement révolutionnaire, car il constituerait un prétexte pour une intervention occidentale? Il est difficile de répondre à ces questions... Personne n'a la solution et l'histoire fera son chemin, avec ou sans nous.
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